Mygale dans la revue 813

La revue 813 a publié en 2010 un numéro spécial : « Nos 100 polars préférés ». Mygale, de Thierry Jonquet, y arrivait à la 17e place. Voici l’article qui lui était consacré.

Lorsque Thierry Jonquet publie Mygale en 1984, entrant avec ce titre dans la Série Noire, Manchette, observateur avisé du genre, réagit quasi immédiatement et écrit : « A l’évidence, l’idée de ce dernier ouvrage touche à une extrémité de noirceur perverse qui est rare. C’est Robert Bloch dans ses nouvelles les plus cruelles, c’est Richard Matheson dans ses grands jours, qu’un tel sujet fait venir à l’esprit. » (Polar-magazine, n°2).

D’entrée de jeu, on suit Richard Lafargue, chirurgien réputé mais intrigant, qui séquestre dans sa villa cossue la jeune Eve. Le médecin rend aussi de fréquentes visites à sa fille Viviane, internée dans un hôpital psychiatrique à la suite d’un viol qui l’a traumatisée à vie. En contrepoint du récit, des scènes nous montrent Vincent, kidnappé par un homme qui le séquestre dans une cave et lui injecte goutte à goutte un terrible venin. Quelles sont les connexions entre ces différentes situations d’enfermement ? Le lecteur va les découvrir au fil d’un récit terrifiant où le suspense dure jusqu’au bout, où tout n’est qu’ambiguïté : l’action, les personnages, les sentiments.

Thierry Jonquet dépasse le schéma classique des histoires de vengeance courantes dans le roman noir. Dans ce début des années 80, l’auteur, dégagé des influences policières américaines, loin aussi d’un néo-polar énervé mais vite écrit, impose une « touche » qui lui est propre. D’abord une construction savante, qui fait penser (référence assumée) au Sébastien Japrisot de La Dame dans l’auto…Puis la mise en scène de l’horreur – pas le grand guignol des tueurs en série, mais les cerveaux déglingués, les monstres ordinaires, les bourreaux du quotidien, qui peuvent devenir victimes, et vice versa. L’exploration des hommes en souffrance et en colère. La terrible banalité du mal. Les corps martyrisés que campe Mygale en sont l’incarnation ; croisés déjà dans Mémoire en cage et Le Bal des débris, on les retrouvera à divers titres dans Moloch, Ad vitam aeternam, Mon vieux, Ils sont votre épouvante

Ici, l’écriture de Jonquet est déjà au plus juste, sans complaisance, sans affèteries. En est absent un humour ravageur et salutaire présent dans bien d’autres de ses livres. Mais, le lecteur le découvrira, on plonge dans des ténèbres que traversent des éclairs d’humanité et d’espérance. « Du grand art dans la noirceur cauchemardesque », s’écria de son côté Michel Lebrun. On ne saurait mieux dire.

Hervé Delouche

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